Dialogue communautaire à Chisasibi sur la transmission des connaissances et les opportunités pour des environnements favorables à l’apprentissage

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Piiskuutamakuunipiijuu

Piiskuutamakuunipiijuu, c’est-à-dire « ouvrir des sentiers dans la neige », était un mot choisi par les aînés pour donner une signification au dialogue communautaire. L’action d’ouvrir des sentiers dans la neige implique des connaissances précises du territoire, l’établissement d’un objectif et la planification consciencieuse à l’avance, ainsi que l’action de travailler fort (persévérance) dans l’atteinte du résultat souhaité. L’objectif ultime de ce travail concret, le sentier, implique également le fait de laisser une carte routière pour que d’autres puissent la suivre.

Piiskuutamakuunipiijuu est une illustration du processus d’apprentissage et de transmission intergénérationnelle des connaissances. L’école ou l’éducation ne se produisent pas seulement en salle de classe. Les familles et les communautés font partie de la réussite de chaque enfant dans son parcours d’apprentissage de toute une vie, tout autant que les enseignants et les écoles. De certaines façons, les parents et les membres de la communauté ont un rôle plus actif en accompagnant les jeunes dans l’atteinte de leurs objectifs de vie et scolaires, en inspirant un sentiment d’appartenance et d’identité culturelle positive, et en renforçant les liens intergénérationnels et la transmission de la connaissance.

Introduction

Le Dialogue communautaire à Chisasibi sur la transmission des connaissances et les opportunités pour des environnements favorables à l’apprentissage a eu lieu au Camp des aînés les 30 et 31 juillet 2019. L’activité était une collaboration entre l’Alliance Kapakan, la Nation crie de Chisasibi, Inshiyuu Miyuupimatisiuun (Mieux-être Chisasibi) et le Centre culturel et du patrimoine de Chisasibi (CCPC). Elle a eu lieu à la suite du Forum interactif sur les connaissances, le premier évènement de lancement de l’Alliance Kapakan, au camp culturel Kinawit à Val-d’Or du 22 au 24 juillet 2019 (voir le rapport du Forum pour davantage de détails).

Une première rencontre de partage d’idées pour l’organisation de l’activité et de présentation du projet aux Chef et conseil a eu lieu du 18 au 20 mars 2019. Chef adjointe Daisy House a rencontré le groupe organisateur incluant : Eddie Pash, Larry House (Inshiyuu Miyuupimatisiuun), Roy Neacappo (Département des loisirs), et Ioana Radu et Laurence Desmarais (Alliance Kapakan). Larry House a été mandaté pour organiser le dialogue communautaire, travaillant en étroite collaboration avec Beverly Cox (CCPC).

L’objectif de Dialogue communautaire sur la transmission des connaissances était de rassembler un groupe de membres de la communauté intéressés afin de réfléchir aux éléments d’une approche culturellement pertinente pour les apprentissages à Chisasibi et d’identifier des valeurs iiyuues qui soutiennent les individus dans leurs parcours d’apprentissage. Quelques questions d’exploration incluent :

  • Quels genres de compétences et de connaissances une jeune personne doit-elle développer dans sa vie quotidienne pour appuyer ses objectifs scolaires?
  • Comment les aînés de la communauté peuvent-ils contribuer à la transmission des valeurs iiyuues? Quels genres de soutiens sont nécessaires pour que les aînés réussissent dans ce rôle?
  • Quels genres d’opportunités d’apprentissage alternatives peuvent être développées dans la communauté?
  • De quelle façon les jeunes peuvent-ils être inspirés à s’engager dans la vie communautaire et aspirer à donner au suivant.

Les membres suivants de la communauté ont participé au dialogue pendant deux jours : Debbie House Cox, Josie Cox, Eddie Pash, Larry House, Beverly Cox, Emily Sam, Eric House, Irene Bearskin House, Roy Neacappo et Trevor Allen Stewart, ainsi que Flora Weistche et Jordan Bear comme invités.

Il est important de protéger l’environnement et intégrer notre connaissance dans notre éducation et nos lieux d’apprentissage afin de valider les systèmes ayant garanti notre survie jusqu’à ce jour.

Larry House

Contexte éducatif de la communauté

La Nation crie de Chisasibi constitue la plus importante des 10 communautés cries en Eeyou Istchee, avec une population totale de 4 723 en 2018 (SAC, 2018). Située auparavant sur l’ile de Fort-George, la communauté a été déplacée au début des années 1980 à l’endroit où elle se trouve présentement (environ 10 km à l’intérieur des terres) en raison d’une érosion potentielle due au projet hydroélectrique La Grande. Entre 1933 et 1979, il y avait deux pensionnats indiens sur l’île de Fort-George : St. Philip’s Indian Residential School (anglicane), en opération entre 1933 et 1979, et St. Joseph’s Mission (catholique), en opération entre 1936 et 1952. Pendant une courte période entre 1975 et 1978, des auberges laïques hébergeaient des étudiants cris sur l’île. Au total, on estime que plus de 600 étudiants cris allaient aux pensionnats indiens sur l’île. De nos jours à Chisasibi, il y a une école primaire et une école secondaire.

Contexte régional

La fermeture des pensionnats indiens ont suivi de près la signature de la Convention de la Baie James et du Nord québécois (CBJNQ) en 1975. Entre autres mesures, la CBNQA a établi le premier conseil scolaire pour l’éducation autochtone au Canada, la Commission scolaire crie (au Nunavik, la Convention a aussi établi le premier conseil scolaire inuit, Kativik Ilisarniliriniq). L’objectif de la Commission scolaire crie (CSC) est de desservir les Cris qui vivent en Eeyou Istchee et de les habiliter à prendre le contrôle de leur propre système d’éducation, tout en protégeant la langue, la culture et les poursuites traditionnelles cries. Sa mission : « Offrir un apprentissage tout au long de la vie tout en inculquant l’identité crie en partenariat avec nos communautés, permettant à chaque étudiant d’atteindre les qualifications et les compétences requises pour réussir à contribuer à la Nation crie et à la société en générale » (CSC), 2019).

En 2019, la Nation crie a adopté la loi sur la langue crie – Act respecting the Cree language of Eeyou Istchee – en réponse à une variété de dispositions nationales et internationales telles que la Déclaration des Nations unies pour les droits des peuples autochtones et les Appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. L’objectif de cette loi était de « soutenir et favoriser l’utilisation de la langue crie » et de « soutenir les efforts cris de réclamer, revitaliser, maintenir et renforcir la langue crie ». La loi établira un cadre pour faciliter l’exercice des droits cris en lien avec la langue, établira des mesures pour du financement à long terme et facilitera la coopération avec les gouvernements provincial et fédéral en termes de rétention, réclamation et revitalisation d’Iyiyuu-Ayimuwin. Enfin, l’article 5.f est conçu pour « faire progresser l’atteinte des objectifs de la Déclaration des Nations unies pour les droits des peuples autochtones et autre droits humains internationaux pertinents, pour ce qui concerne la langue crie ».
Cree Nation Government, 2019.

En 2019, la CSC employait 441 enseignants et avait 5 866 étudiants inscrits, dont 680 à l’éducation des adultes et 511 dans des institutions postsecondaires. Il y a 16 écoles en Eeyou Istchee. Selon la taille de la communauté, soit il y a des écoles primaires et secondaires séparées, ou des écoles de multiples niveaux. La CSC gère aussi le Sabtuan Regional Vocational Training Centre (SRVT), un centre de formation professionnelle situé à Waswanipi qui offre des programmes d’éducation générale et professionnelle pour les adultes. Le SRVT offre aussi des résidences étudiantes et des programmes de repas. Depuis son ouverture en 2005, plus de 700 étudiants ont été diplômés dans divers programmes. Enfin, la CSC offre des services étudiants pour le postsecondaire, incluant l’aide financière et des programmes à plein temps, à temps partiel et par correspondance, en plus de services de coordination, de conseils et d’orientation.

Selon le Rapport annuel 2016-2017, l’ensemble de la population étudiante incluant la prématernelle, le primaire et le secondaire totalisait 4 463 étudiants, dont 2 306 étaient de sexe masculin et 2 157 de sexe féminin. Il y avait 249 étudiants avec des besoins particuliers. Pour ces niveaux, les taux de diplomation sont variables : 11,1 % pour 2014/15, 9,4 % pour 2015/16 et 10,8 % pour 2016/17.  Pour l’éducation aux adultes (incluant la formation professionnelle), 786 étudiants y étaient inscrits, 404 étant de sexe masculin et 382 de sexe féminin. Pour la période 2016-2017, 634 étudiants étaient inscrits en éducation postsecondaire, dont plus de la moitié étaient de sexe féminin, Parmi ceux-ci, 479 étaient inscrits au collégial, 112 à l’université et 43 in formation professionnelle (à l’extérieur de la SRVT). Pour cette même période, il y avait un total de 59 diplômés au postsecondaire (CSC, 2017).

La Commission scolaire crie a entrepris une restructuration majeure en vue d’augmenter les taux de diplomation et de concevoir des programmes de rétention de la langue. En 2007, l’étude Communication, responsabilité et suivipour l’amélioration scolaire (rapport CAFSI) a proposé 115 recommandations qui visaient d’abord et avant tout à changer la culture institutionnelle pour établir une approche centrée sur l’étudiant (Lévesque et al., 2015). En 2010, le Guaranteed and Viable Curriculum (Programme d’études garanti et viable – GVC) a été mis en œuvre en réponse aux recommandations du rapport CAFSI. Le Plan stratégique 2016-2021 est axé sur quatre domaines prioritaires : la réussite éducative; l’engagement des étudiants, des parents et de la communauté; le développement professionnel du personnel; et le comportement organisationnel efficace. Pour les niveaux primaire et secondaire, la CSC a mis en œuvre divers programmes pour favoriser les taux de rétention et de diplomation, tels que : Programmes de littératie Empower™ Reading; le programme d’arts interdisciplinaire Mikw Chiyâm; des activités parascolaires et de leadership avec Fusion Jeunesse; et des initiatives diverses basées sur la culture dans des écoles sélectionnées en complément au cours de culture et de langue cries (CSC, 2016).

Paysage de la transmission des connaissances et du savoir pédagogique à Chisasibi

En termes d’éducation formelle, la Waapinichikush Elementary School offre l’instruction en cri, en anglais et en français. En 2020, 788 étudiants se sont inscrits, dont 350 dans la section anglaise et 269 dans la section française. En plus de l’instruction formelle, l’école offre le programme Les ainés à l’école qui encourage les étudiants à s’engager dans la transmission des connaissances culturelles, ainsi que dans l’apprentissage axé sur la terre avec les sorties de groupes organisées (CSC, 2020). La James Bay Eeyou School (JBES) offre l’éducation de secondaire 1 à 5 à 494 étudiants (en 2020). Entre 2016 et 2017, le taux de diplomation s’est amélioré, passant de 33 % à 39 %, alors que le taux d’absentéisme était 2,7 % plus élevé en 2016 pour atteindre 25 % en général (CSC, 2016 & 2017). Depuis 2016, JBES offre une programmation Mikw Chiyâm, et depuis 2014 elle a développé un projet de serre communautaire avec le Nihtaauchin Chisasibi Center for Sustainability.

La serre de Chisasibi

Le projet de serre s’inscrit dans le Parcours de formation axée sur l’emploi (PFAE), une initiative appuyée par le Ministère de l’Éducation et Enseignement supérieur (MEES) pour accompagner les étudiants sur le marché du travail pendant deux ou trois jours par semaine. À l’achèvement du programme, les participants reçoivent un Certificat de formation préparatoire au travail (CFPT) du MEES. Étant un projet collaboratif, les opérations pour la serre sont partagées entre JBES et Nihtaauchin alors qu’au cours de l’année scolaire, les étudiants des secondaires 4 et 5 préparent les semis et la plantation pour chaque saison sous la supervision d’un professeur de science de la communauté, et au courant de l’été, Nihtaauchin supervise les participants au Programme d’emplois d’été pour étudiants qui supervisent les opérations quotidiennes et la cueillette et distribution des récoltes. Tous les étés, Nihtaauchin organise des ateliers sur le jardinage et les serres avec les jeunes et la membres de la communauté en général. Entre autres initiatives, tels le compostage et le champ de pommes de terre sur l’île de Fort-George, Nihtaauchin gère un projet Aînés-Jeunes axé sur la mise au point de méthodes d’agriculture en milieu nordique en faisant appel aux connaissances et techniques d’habitations traditionnelles cries. Les résultats du transfert intergénérationnel des connaissances comprennent l’augmentation des connaissances en lien avec la flore locale et les techniques de construction pour les jeunes, tout en contribuant à la sensibilisation accrue chez les aînés en ce qui a trait au potentiel de l’agriculture nordique à Chisasibi (NCCS, 2020).

L’histoire des potagers des pensionnats indiens à Fort-George était un sujet de discussion au cours du projet de recherche de trois ans avec le Centre d’innovation sociale en agriculture de Victoriaville. Le projet a contribué à une sensibilisation accrue auprès de la communauté quant à l’agriculture en milieu nordique. Le Centre culturel et du patrimoine de Chisasibi a collaboré au projet et a assisté dans la collecte d’information historique au sujet de l’ile de Fort-George et ses potagers.

Le Centre culturel et du patrimoine de Chisasibi

La mission du Centre culturel et du patrimoine de Chisasibi (CCPC) est de « protéger, préserver, recueillir et exposer notre histoire, notre patrimoine, notre langue, les enseignements traditionnels oraux, les coutumes et valeurs des Iyiyiyuuch et Inuit de Chisasibi » (CNC, 2020). Faisant partie du réseau de l’Institut culturel cri Aanischaaukamikw, le CCPC offre des expositions et de la programmation culturelle à la communauté. Travaillant en étroite collaboration avec les aînés et les gardiens du savoir dans la communauté, le CCPC organise une diversité d’activités au cours de l’année en lien avec la culture, la langue et l’histoire, telles des sorties scolaires, le rassemblement annuel Mamoweedow sur l’île de Fort-George, des séances de narration d’histoires à l’automne et des activités traditionnelles sur le territoire. Un des projets les plus récents a été l’inauguration du site patrimonial Upichiwin en collaboration avec Hydro-Québec, commémorant un site important de rassemblement et de pêche en aval du réservoir LG-1. Le belvédère comprend des panneaux d’interprétation du site qui ont été élaborés avec des aînés et des utilisateurs du territoire locaux. Un projet toujours en cours inspiré de ce travail est celui de l’attribution de noms aux endroits, documentant la topographie crie dans les territoires familiales traditionnelles de Chisasibi (CCPC, 2020).

Pour le CCPC, le transfert intergénérationnel des connaissances est essentiel au maintien de la continuité culturelle et au renforcement de l’identité et de la langue. À cet effet, la majorité des activités sont orientées vers ce but en organisant des évènements où ainés et jeunes apprennent les uns des autres. Certaines de ces activités comprennent le Village des enfants qui a lieu sur place au service de garde communautaire et reproduit la vie dans le village à l’intention de très jeunes enfants. Plusieurs ateliers avec des étudiants du secondaire et du primaire sont organisées au Centre incluant le perlage, la langue et les jeux traditionnels, en plus d’expositions permanentes ou temporaires. Des séances sur l’histoire des Eeyou et de Chisasibi sont régulièrement organisées avec des enseignants et des professionnels de la santé de la communauté (CCPC, 2020).

Au camp pour les aînés, le CCPC offre des ateliers pratiques avec des membres de la communauté et des étudiants de l’école secondaire. Entre autres, il y a des ateliers sur la chasse au caribou et la préparation des aliments, la fabrication de hochets traditionnels et les enseignements du tipi. Un évènement important, la Semaine de la culture, est organisé en mars de chaque année comme évènement public dans la communauté en collaboration avec Inshiyuu Miyuupimatisiuun et pouvant accueillir environ 300 personnes.

Inshiyuu Miyuupimatisiuun

Inshiyuu Miyuupimatisiuun est un organisme communautaire sans but lucratif créé en 2017 à Chisasibi, offrant des services en mieux-être axés sur la culture.  Établi initialement comme Équipe en santé mentale en vertu de programmes de Santé Canada, cet organisme est en opération depuis 2014. Inshiyuu Miyuupimatisiuun a élaboré un modèle de guérison axé sur la terre misant sur le transfert intergénérationnel des connaissances et en utilisant des approches cries quant aux soins et à la guérison. En plus de ce programme, Inshiyuu Miyuupimatisiuun met l’accent sur des activités provenant de la communauté et axées sur la culture en offrant une diversité de services en lien avec le mieux-être tels la sécurité alimentaire, des ateliers pré et postnatals, un rassemblement annuel de guérison, des rites de passage et des formations en compétences essentielles. Toutes ses activités sont élaborées et offertes avec la contribution des aînés et des détenteurs de connaissances autochtones

Une partie de cette programmation a inclus l’organisation d’une activité pour la Semaine de la culture, en collaboration avec le Centre culturel et du patrimoine de Chisasibi, qui a consisté à l’établissement d’un Waashaaukimikw (pavillon) dans le centre communautaire, à proximité de la James Bay Eeyou School. Les activités ont inclus des rites de passage selon la saison, la médecine, la narration d’histoires et la préparation d’aliments traditionnels, élaborés et facilités par des aînés de la communauté. La toute première activité de ce genre a eu lieu en mars 2017; elle a connu une grande réussite (Wapachee, 2017; CMWT, 2017). Les activités étaient ouvertes à la communauté dans son ensemble, tout en misant sur le renforcement des connaissances cries chez les jeunes parents et les jeunes gens. Une deuxième édition du pavillon a été tenue du 7 au 20 octobre 2019 sur la terre élevée (un site à 10 km de la communauté).

Inshiyuu Miyuupimatisiuun était le principal collaborateur du premier Rassemblement Kuukuminuwich, un projet initié par les femmes cries de l’Association Eeyou Istchee qui vise à habiliter les femmes eeyoues par le transfert intergénérationnel des connaissances (voir la courte bande vidéo de DIALOG sur le rassemblement récent à Eastmain ici). Plus récemment, Inshiyuu Miyuupimatisiuun a reçu du financement de démarrage pour mettre sur pied une cuisine collective en soutien aux familles à faible revenu, prévoyantdes activités de cueillette et de livraison de mets traditionnels préparés à l’intention des jeunes parents.

Pourquoi un dialogue communautaire sur l’apprentissage?

Alors que la Commission scolaire crie continue de miser sur la création d’un programme d’études viable et l’amélioration de sa culture institutionnelle, à Chisasibi les membres de la communauté continuent de prendre la responsabilité de la transmission intergénérationnelle des connaissances. La sensibilisation à l’égard des impacts négatifs du système de pensionnats indiens, associée à la préoccupation du départ des aînés, a mobilisé les organismes communautaires, favorisant l’innovation et le soutien pour l’apprentissage tout au long de la vie.

Il existe une déconnexion de la culture et du territoire parce que nous vivons tous dans nos petites maisons et auparavant, nous vivions tous dans la même maison, et tous les adultes enseignaient aux enfants. Nous devons nous adapter à ces changements et provoquer ces situations (rassemblement et enseignement simultanément, la culture et la langue). D’écouter aussi, d’être en contact avec le territoire, notre culture et nos aînés – cela fait en sorte que les jeunes sont davantage CONNECTÉS.

Debbie House Cox

Les exemples fournis jusqu’ici démontrent que l’éducation et l’apprentissage sont une responsabilité collective qui engendre un engagement collectif. En misant sur la transmission intergénérationnelle des connaissances, ultimement les diverses initiatives mettent l’accent sur le renforcement du mieux-être et le rétablissement des relations au sein de la communauté. En effet, les discussions pendant les deux jours ont souligné que l’instruction et l’apprentissage sont assujettis aux impacts de la qualité de vie en général des parents, des familles et de la communauté; en retour, cela reflète l’histoire de la communauté et les expériences vécues des générations précédentes. À cet effet, le fait de trouver un but et de favoriser un sentiment d’appartenance constituent des éléments essentiels pour l’apprentissage tout au long de la vie. Les sections suivantes résument les thèmes principaux de discussion, mettant l’accent sur les déclarations des participants et soulignant les priorités en éducation à Chisasibi.

« Les gens doivent savoir qui nous sommes, ensuite nous saurons où nous allons. »

Cette déclaration d’Eric House est une illustration de certaines discussions au cours de la première journée. Les participants ont souligné l’impact de la colonisation, et surtout les impacts environnementaux du projet La Grande sur les façons dont Chisasibi Iiyuuch est devenu déconnecté du territoire et donc de la culture. En réfléchissant à ce que les jeunes gens apprennent présentement dans les écoles, il est devenu évident que l’histoire de Chisasibi était essentielle à la compréhension de la situation de la communauté aujourd’hui en termes de relations sociales entre les gens et leur santé en général.

Eddie Pash a mentionné les nombreux changements dans l’environnement auxquels la communauté a dû faire face, à la fois la perte de territoire, mais aussi le changement des écosystèmes et les habitudes de migration et de comportement des animaux. Par exemple, la perte de l’herbe à outardes signifie que les outardes ne fréquentent plus la côte. Par conséquent, les familles dont les territoires donnent sur le baie doivent maintenant se déplacer sur de longues distances à l’intérieur des terres pour aller à la chasse, entraînant ainsi des coûts plus élevés. Au fil du temps, ces changements dissuadent les gens d’aller sur le territoire; ils demeurent donc dans la communauté et ne bénéficient pas de la vie quotidienne dans la forêt, ce qui constitue la source de miyuupimatisiuun.

Mon père m’a formé, il m’a élevé. Mes parents m’ont enseigné tout ce que je connais…en les observant, comment ils bougeaient, comment ils faisaient les choses.

Eddie Pash

L’intervention des gouvernements et des compagnies de développement des ressources dans la vie des membres de la communauté a eu des répercussions importantes sur l’interaction des Iiyuuch de Chisasibi avec l’environnement scolaire. Alors que l’éducation formelle est considérée comme étant importante pour les jeunes de la communauté, il y a le sentiment qu’on n’en fait pas assez pour inclure les connaissances et les approches pédagogiques des Iiyuu dans les écoles. De plus, les participants croient aussi que les programmes d’études et les approches pédagogiques sont souvent imposés, laissant peu de place à l’expansion de l’environnement d’apprentissage dans la communauté par le biais d’activités culturelles, privant ainsi la famille et les réseaux sociaux plus élargis de leurs responsabilités en matière de transmission des connaissances.

Debbie, Larry et Eric ont partagé leur expérience de déplacement au cours de leur enfance, de Moose Factory à Fort-George, et comment leurs frères et sœurs aînés ne parlaient pas le cri parce que leurs parents insistaient qu’ils apprennent l’anglais en premier pour qu’ils soient « comme les autres pour se rendre quelque part ». Néanmoins, cette déconnexion initiale de la langue et de la culture a été surmontée en passant beaucoup de temps avec des aînés et des membres de la famille sur le territoire. Maintenant, leurs enfants et leurs petits-enfants ont appris le iiyiyiuyimuwin et sont connectés à la culture puisqu’en tant que parents, ils comprenaient que l’enseignement et le transfert des connaissances sont des responsabilités partagées par les parents et la famille.  

Ayant passé par le système d’éducation, il a beaucoup changé. Mais nous avons commencé à perdre la langue parce que quelqu’un contrôle le système et cela fait mal de voir les enfants perdre leur langue. Il y a plusieurs facteurs, comme la technologie, leur arrière-plan…ça vient de la maison. Toutefois, la commission scolaire devrait être là aussi, pour aider de différentes façons pour rectifier cette situation.

Josie Cox

D’inculquer une solide identité culturelle et de favoriser un sentiment d’appartenance et de responsabilité sont donc considérés comme étant des objectifs fondamentaux d’une approche éducative culturelle significative; une approche intimement liée au miyuupimatisiuun.

« Cela a tout à voir avec les relations; chacun a son histoire. » (Eric)

Dans cette section, nous avons choisi de souligner les expériences personnelles des participants pour démontrer comment des membres de la communauté suivent parfois des parcours très différentes dans leur cheminement éducatif, et comment, lorsque nous les considérons au niveau collectif, ces récits personnels nous enseignent qu’un sentiment d’appartenance se construit par le biais de relations aimantes et respectueuses. L’expertise des participants a démontré qu’en tant qu’éducateurs et apprenants, chacun avait ses propres connaissances spécifiques à partager, des connaissances construites en lien avec la famille, les amis et les modèles tout au long de leur vie. Puisque certains participants étaient membres d’une famille élargie, tout comme Eddie l’a souligné au début de l’activité, leurs réflexions ont aussi révélé le rôle essentiel de la famille pour le transfert intergénérationnel des connaissances et assurer la continuité culturelle.

Flora, Beverly et Jordan ont partagé leurs propres  parcours éducatifs au postsecondaire, se heurtant souvent aux défis associés à l’éloignement de leurs communautés et familles, et à devoir s’ajuster à un système qui ne valorisait pas ou n’incluait pas toujours les manières autochtones de connaître. Néanmoins, pour chacun d’eux, le fait d’avoir une forte connexion à Iiyihtuuwin (la culture crie) les a motivés à persévérer et, lorsqu’ils ont obtenu leur diplôme, à contribuer à l’avancement de la qualité de vie de leurs communautés et nation.

C’est complexe d’enseigner à un jeune enfant. Souvent, je vois que vous n’avez pas le temps de revenir en arrière pour réfléchir ou pour corriger. J’ai assisté à plusieurs séances d’apprentissage sur les plantes, les médecines… Celles-ci sont essentielles à notre mieux-être. Nous avons nos propres connaissances. Les aînés se feront un plaisir de partager ce qu’ils connaissent mais le gouvernement ne veut pas le reconnaître. Des enseignants en sciences sont arrivés. J’ai demandé pourquoi ils ne voulaient pas enseigner la science crie. Ils m’ont dit qu’ils ne le pouvaient parce que ça ne fait pas partie de la terminologie. Je leur ai dit de revenir aux aînés. D’amener les enfants dans la forêt, de leur enseigner au sujet des plantes, de la nature. De communiquer avec la nature. C’est ça, la culture.

Josie Cox
Flora Weistche. 2018. « Le jardin de ma grand-mère ». Crédit photo @weistche45

Puisque les parents de Flora vivaient sur le territoire, son père interagissait souvent avec des biologistes, ce qui dévalorisait souvent ses connaissances écologiques puisqu’il « n’avait pas de papier démontrant qu’il a les connaissances ». Elle a choisi une carrière en planification environnementale afin de « le soutenir et parler aux scientifiques qui viennent. »  Afin de demeurer ancrée au cours de ses études, Flora a commencé le perlage en utilisant la peau du dernier caribou que son père avait chassé et des dessins de perlage cris et autres pour honorer « toutes les femmes autochtones au Canada », et aussi en souvenir de sa grand-mère et toutes les femmes dans sa vie.

La peau a 40 ans. Dernière chasse au caribou pour mon père parce qu’il avait remarqué que le caribou diminue. Voilà pourquoi je devais faire quelque chose de grandiose pour mon père.

Pour Beverly, le travail de protection, de préservation et de revitalisation d’iiyiyiuyimuwin et de chischaayihtimuwin (connaissances cries) est devenu urgent et essentiel afin d’assurer la continuité culturelle pour les générations futures. Elle travaille avec des ainés de la communauté pour documenter, archiver et conserver l’histoire de Chisasibi, ainsi que leurs connaissances des territoires ancestraux de la communauté. Ayant complété des études postsecondaires en Patrimoine autochtone, la majeure partie de son travail vise la mobilisation intergénérationnelle des connaissances à l’échelle locale par une variété d’activités et de collaborations.

Ce qui m’a vraiment aidée c’est que j’ai entendu ma grand-mère qui disait qu’elle faisait les choses naturellement, au fur et à mesure que ça lui venait. En entendant cela, j’ai pensé : Je peux faire tout ce que je veux; toutes les réponses proviennent de moi-même et pas d’un livre ou de quelque chose d’écrit là-bas. Et l’éducation devrait refléter cela (la créativité); elle devrait refléter notre culture.

Beverly Cox
Présentation des enseignements du caribou par les étudiants de JBES, offerte par le CCPC.


Alors que le Centre du patrimoine et culturel sert d’ancrage culturel dans la communauté, tout au long de l’année des pavillons d’enseignement, des ateliers et des cérémonies occupent les espaces publics et accueillent à la fois visiteurs, enseignants, professionnels de la santé et membres de la communauté. 

Lorsque Jordan était adolescent, la rivière Rupert qui se déverse dans la baie à Waskaganish a été détournée. La construction du barrage et les travaux d’ingénierie qui s’ensuivirent le long de la rivière, bien que cela ait créé des emplois pour les Cris, une certaine inégalité en termes d’opportunités existait toujours dans l’entreprenariat en Eeyou Istchee. Pour Jordan, le sacrifice d’une rivière aurait dû aussi se traduire par une amélioration dans l’équité et le renforcement des capacités pour les Cris. Ayant obtenu un diplôme en Développement des affaires, Jordan travaille maintenant à soutenir l’entreprenariat cri dans les communautés autochtones comme moyen d’atteindre l’autosuffisance et l’expertise dans divers domaines.

Je suis coupable d’être trop Indien citadin dernièrement et le territoire me rappelle. Mes parents sont tous les deux enseignants donc ils n’étaient pas dans le mode de vie traditionnel non plus. Ma mère m’a envoyé vivre avec mes grands-parents dans la forêt…Je réalise maintenant combien j’ai été chanceux d’avoir connu des aperçus de ce genre de style de vie. Eric (House) m’a dit que nous avons un gros travail à faire ici. Et c’est fondamentalement ce que j’essaie de faire. J’aime comparer l’entreprenariat avec la manière dont on faisait les choses anciennement. Travailler en équipe. Vous êtes responsable de votre propre mieux-être et vous ne vous plaignez à personne.

Jordan Bear

Roy et Trevor travaillent au Département des loisirs et opèrent le Centre de conditionnement physique dans la communauté. Spécialisés en sciences de l’activité physique, ils visent soutenir les jeunes gens à Chisasibi dans leur développement professionnel en embauchant et en offrant des formations à des étudiants au Centre. Ils ont maintenant du personnel à temps plein composé de 10 jeunes gens, et 10 de plus à temps partiel. Tous les jeunes reçoivent une formation professionnelle en sciences de l’activité physique et on leur confie diverses responsabilités telle que la direction de camps d’été et d’équipes sportives. Comme maître formateur et ancien athlète au football, Trevor met l’accent sur le renforcement des capacités et l’éthique du travail chez les jeunes; tous leurs employés ont moins de 30 ans et tous sont diplômés du secondaire.

Nous tentons d’habiliter nos jeunes pour qu’ils puissent ensuite être formés pour travailler au centre d’activité physique. En réalité, les jeunes prennent en charge les programmes. Nous leur donnons le mandat et les jeunes l’exécutent. Les jeunes travaillent donc pour leurs propres pairs. Je suis tellement fier d’eux. Nos jeunes arrivent toujours à l’heure et sont prêts pour le travail. Même l’ancien directeur de l’école ne pouvait le croire! Si vous encouragez nos jeunes et que vous les habilitez, les respectez, ils répondront positivement. Le respect est une voie à deux sens. Ne vous attendez pas toujours à ce que quelque chose soit fait pour vous; faites-le vous-même.

Roy Neacappo

La santé communautaire et la promotion d’un mode de vie sain sont les objectifs fondamentaux du travail de Roy et Trevor. Le Centre d’activité physique offre des services à une centaine de membres quotidiennement. En plus des camps sportifs à l’été, ils offrent aussi un programme pré et postnatal, un défi de perte de poids, et une panoplie d’activités physiques pour ceux qui sont aux prises avec des troubles concomitants en santé, tel le diabète.

Je crois que, pour avoir une communauté en santé, vous devez avoir des gens en santé… Nous faisons la promotion d’un mode de vie sain (par la radio et par Facebook) parce que plusieurs personnes sont conscientes de cela. Nous utilisons la technologie pour donner aux gens une image des niveaux de formes physiques et nous en discutons avec leur médecin.

Trevor Allen Stewart

Miyuupimatisiuun : territoire, culture, santé

L’une des choses que nous avons apprises très tôt dans notre processus de guérison c’était que, pour rester authentiques, nous devions sortir cela de nos institutions. Lorsqu’on parle de piiskuutamakuunipiijuu et ce traîneau. Nous pouvons décider de ce qui se trouve dans ce traîneau et où ce traîneau s’en va. Pas demain mais aujourd’hui. Parce que demain arrive avec ces propres conditions. Et hier est parti.

Larry House

Miyuupimatisiuun veut dire à peu près « être en vie en étant bien ». Cela comprend les éléments essentiels de la survie sur le territoire (chaleur, nourriture, abri), mais aussi la force de caractère nécessaire pour faire face à des situations imprévisibles et dérangeantes. D’une perspective iiyuu, la terre/nature est une enseignante qui partage la connaissance par les divers éléments de l’environnement – chaque interaction est une leçon en survie, un enseignement qui aident les individus à être transformés tout au long de leur vie. Le lourd héritage de l’histoire coloniale en Eeyou Istchee a déconnecté les Iiyuuch de la terre et des valeurs imbriquées dans ses relations avec elle. La tâche d’une éducation culturellement pertinente vise à restaurer ces relations en créant des espaces propices au transfert intergénérationnel des connaissances.

Comme Eddie l’a expliqué, ouvrir un sentier constitue un travail difficile qui exige la persévérance, une bonne planification et de la prévoyance; mais une fois le sentier défriché, plusieurs y trouveront leur chemin. Donc, tout comme Eric le demande : Que mettons-nous dans le traîneau que nous tirons pour l’avenir de nos tout-petits? Si le traîneau est trop lourd, le précurseur se fatiguera rapidement et ne pourra peut-être pas atteindre sa destination. Si le traîneau est trop léger, le sentier ne durera pas assez longtemps pour que les autres suivent. Les objets dans le traîneau doivent être considérés attentivement; ils doivent être utiles pour toute situation, et distribués correctement pour une charge équilibrée. Pareillement, des environnements d’apprentissage favorables à Chisasibi sont créés sur le territoire, tout comme Larry et Eddie l’ont fait avec le Programme de guérison axé sur la terre; par le biais d’ateliers intergénérationnels culturels tels que développés par le CCPC; et en renforçant la capacité des jeunes pour favoriser des modes de vie sains pour la communauté, tout comme le Centre d’activité physique continue de le faire.

Revenons à l’éducation faisant partie de l’apprentissage et de l’écoute pour ce qui concerne qui nous sommes en tant que peuple. Nous avons une vision; nous avons aussi la force de la réaliser. Nous devons réfléchir ensemble pour la réaliser.

Eric House

Dans tous ces exemples et de par les expériences personnelles partagées, nous apprenons qu’une éducation culturelle significative doit d’abord et avant tout être éclairée par chischaayihtimuwin (les connaissances cries), transmise de manière intergénérationnelle, appuyée par iiyiyiuyimuwin (la langue crie), présente le plus possible sur le territoire et propice à miyuupimatisiuun. D’autre part, nous avons aussi appris qu’une modification du système à partir de la base constitue un travail difficile qui doit surmonter les politiques et systèmes qui manquent de flexibilité et qui sont souvent imposés, les lourds fardeaux administratifs et financiers, et une constante incertitude à l’égard d’une continuité efficace. Comme Eddie l’a relevé, les jeunes gens ne sont pas tous pareils et il revient aux détenteurs des connaissances de trouver des moyens pour qu’ils s’engagement dans l’apprentissage d’une manière positive et excitante. Par conséquent, l’établissement d’environnements d’apprentissage favorables signifie la création d’un éventail de opportunités combinant les connaissances et les compétences avec une multitude de styles d’apprentissage et de parcours d’apprentissage.

Teepee paint sur os, fait par Eddie Pash

Références

Centre culturel et du patrimoine de Chisasibi. (CCPC). 2020. Page Facebook et Site web du department.

Commission scolaire crie (CSC). 2020. Site web de l’éducation eeyoue (diverses sections).

Commission scolaire crie (CSC). 2017. Inspiring Student Success: Annual Report 2016-2017.

Commission scolaire crie (CSC). 2016. Annual Report 2015-2016.

Gouvernement de la nation crie (GNC). 2019. Projet de loi 1 – Loi concernant la langue crie d’Eeyou Istchee.

Services aux Autochtones Canada (SAC). 2018. Population indienne inscrite selon le sexe et la résidence, 2018.

Lévesque C. et Polèse G. 2015. Une synthèse des connaissances sur la réussite et la persévérance scolaires des élèves autochtones au Québec et dans les autres provinces canadiennes. Cahier DIALOG no 2015-01. Rapport de recherche.

Nihtaauchin Chisasibi Center for Sustainability (NCCS). 2020. Le projet de serre du Camp des aînés.

Wapachee, C. 2017. Elders pass on Cree culture at Rites of Passage week in Chisasibi, CBC News North.

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